Les anciens costumes des Alpes du Dauphiné (suite)
CHAPTITRE V
LES ETOFFES EMPLOYEES
Malgré l'apparition de quelques manufactures de draps et de soies, les régions montagneuses du Dauphiné continuèrent à voir fleurir la fabrication individuelle des étoffes destinées à leurs vêtements familiaux.
Les nombreux troupeaux d'ovins fournissaient à leurs maîtres, leur chair et leur laitage comme nourriture et leur laine dont il fabriquaient des étoffes grossières à la vérité, mais qui suffisaient à leurs vêtements.
Suite à l'initiative de M. de Bardel, Maire de Méreuil, petit village des Hautes-Alpes de nombreux "mérinos" sont introduits en 1804 dans le département. On en comptait plus de 4000 qui produisaient plus de 3 kilos de laine par tête.
Voici comment se travaillait la laine dans nos Alpes :
La fabrication ne commençait ordinairement qu'après la Toussaint et finissait au mois de mars. Elle occupait pendant ce temps d'hiver, à peu près tout le peuple, les vieillards et les enfants, depuis l'âge de sept ans, triaient la laine, c'est à dire en détachaient les lampourdes, pailles et autres choses de cette espèce qui s'y trouvaient, opération qui n'avait pas même besoin de l'office des yeux, puisque la tat (le toucher) suffisait.
Les hommes battaient la laine, pour en détacher la poussière, la peignaient et la cardaient, métier que presque tous les paysans savaient encore, en 1850, et les femmes filaient.
Une jeune bergère, en gardant aux champs son troupeau, gagnait, par sa quenouille, jusqu'à deux sols, ce qui faisait sa nourriture.
D'autres femmes et des enfants dévidaient le fil, le mettaient en chaîne et en bobines, pour être remis au tisserand, et presque tous les paysans avaient des métiers à eux et gagnaient dans leur famille de 5 à 20 sols par jour, pour tidre, peigner ou carder.
La pièce de drap une fois tissée, était remise au foulon, où elle restait peu, puis était portée dans les magasins répandus en Dauphiné, après que chaque famille eut prélevé le métrage nécessaire à son usage.
Les droguets, ratines, serges, cadis, cordes ou cordelias et les bures de toutes sortes étaient les principales étoffes fabriquées et employées par les paysans, qui consacraient en général la laine de leurs brebis à la fabrication d'une pièce d'étoffe qu'ils appelaient Cordes, et qui mesurait 15 à 16 mètres de long. Elle était faite de laine noire et de laine blanche mélangées au sortir du foulon, pour obtenir une couleur grisâtre qui, ne devant rien à l'art du teinturier, faisait que ce drap n'était pas brûlé par les drogues et était d'un meilleur usage. Pour obtenir les autres couleurs, les Alpins teignaient avec certains végétaux indigènes.
Etoffes de laine : de 1 700 à 1780, les principaux lieux de fabriques de draps et autres étoffes en la province du Dauphiné étaient : Grenoble - La Mûre - Vienne - Bourgoin - Saint-Marcellin - Romans
Noms des étoffes : Draps mi-forts en laine de Provence - Draps croisés, dit capucins : la chaîne en laine beige ou musc naturel, trame dans la laine du pays - Droguets blancs dits demi-draps en laines du pays - Droguets forts sur fils appelés dans le pays "serges" : la chaîne en fil, la trame en laine - Burattes de filoselle ou burats : la chaîne en filoselle, la trame en laine - d'autres burattes ont la trame en soie - Draps de La Salette : chaîne et trame en laine beige.
Fabrique de Vienne : Nom des différentes étoffes :
- Ratines larges d'une aune : chaîne et trames en laine du Dauphiné
- Ratines à la Dauphine : chaîne enlaine du roussilon et trame en laine superfinde de la Romagne.
- Ratines à la Reine
- Ratines communes : chaîne et trame en laine du Dauphiné et poils de chèvre.
- Ratines double broche croisées : chaîne et trame en laine du Dauphiné (1ère qualité)
- Castorine : laine d'Espagne blanche et sigoviane mêlées avec la laine de Romagne noire.
- Calmoud croisé : laine du Dauphiné
- Royale croisée
- Cordillats communs : chaîne et trame pure laine du dauphiné.
- Sardis : chaîne et trame laine du Dauphiné la plus commune et la plus grossière.
- Papeline : pour popeline (était appelée ainsi parce qu'à l'origine elle se fabriquait à Avignon, terre papale) chaîne en Organsin du Dauphiné et trame en filoselle ou fleuret de Suisse.
- Ferraudine : chaîne en organsin du Dauphiné et trame enlaine filée au lait.
- Bayettes : chaîne en laine du Dauphiné peignée et trame en laine du Dauphiné cardée.
- Finettes : Laines du pays, supérieures à celles de Romans.
- Cadis : tissu de laine étroit et léger.
Je vous fais grâce des tableaux explicatifs : C'est impressionant ce nombre d'étoffes, ayant chacune sa petite particularité. ON y perd son latin .....
Les ratines, sergettes et draps ordinaires étaient teints à Romans et à Crest. En plus de la fabrication des grosses draperies, l'industrie manufacturière de la Drôme consistait principalement dans le filage, l'ouvraison et le tissage de la soie qui prirent une assez grande extension dans la seconde moitié du XVIIIème siècle. Le filage occupait presque toutes les femmes après la récolte, dans la plaine du Rhône.
Ce que gagnait la fileuse était bien peu de chose, juste de quoi se nourrir et s'acheter, de loin en loin, une chemise et .. un ruban de couleur éclatante, le plus souvent ponceau, et qui ajusté à tort et à travers sur ses haillons de la semaine lui servait de parure pour les vogues du dimanche.
Voici comment Georges d'Alcy décrivait une fileuse :
"Presque en chemise, avec une braillette à laquelle pendait un méchant jupon de couleur, retroussé de côté et d'où ressortait la chemise, laissant à découvert la moitié de ses james toutes nues et hâlées, elle était penchée sur le rouet, un bras passé dans la courroie qui la soutenait et se balançait rapidement sur la planchette du dévidoir, bien plus attentive à sa chanson qu'à son ouvrage, lequel, d'ailleurs, n'avait nullement besoin de son attention."
A côté des fabriques de drap et d'étoffes de laine de Gap - Embrun et Briançon, il y a l'industrie de la soie ; fabrication des soieries dans la Drôme et l'Isère, soieries employées autrefois par nos paysans et avec lequelles ils faiseint les fichus et les tabliers des femmes et les gilets des hommes, pour les jours de fête, et que l'on dénommait alors "petites étoffes".
Trois centres fabriquaient également des mouchoirs damassés. Ces mouchoirs ou fichus de soie que les femmes de nos montagnes portaient depuis le XVIIème siècle venaient en assez grande quantité du Royaume de Sardaigne et entraient en Dauphiné par le bureau de frontière, qui était alors Pont-de-Beauvoisin, en payant des droits asez minimes. Vers le milieu du XVIIIème siècle, les fabricants de soierie du Dauphiné s'en émurent, réclamèrent et obtinrent des droits : les manufactures de l'Albenc, de Romans et de Aillant entreprennent avec succès la fabrication des mouchoirs damassés, alors fort à la mode, et la facilité de les vendre à des prix inférieurs à ceux venant de Sardaigne. (Fait fort intéressant au point de vue local ...)
Mais revenons à la fabrication des étoffes de laine des Hautes-Alpes : les deux genres principaux étaint les sardis et les serges sur fil.
Les fabriques du Dauphiné produisirent une grande quantité de coupons de serges sur fil pour les paysans, ainsi que de petites étoffes, filoselle et laine à l'usage des particuliers.
On reconnaissait les qualités et les provenances des draps, à leurs lisières et aux signets de plomb qui appendait, à titre de marque de contrôle, la corporation des drapiers.
Nos paysans employaient dans leurs vêtements :
L'estamet, lainage léger fabriqué d'abord en Italie ; la serge, analogue au type actuel, et la tiretaine, petit lainage sur chaîne de fil ou de coton, qui était une étoffe de peu de prix.
Les principaux draps de laine commune étaient à cette époque :
- la barde, drap de laine revêche ou flanelle.
- la Bayette, variété analogue.
- la Belaingue, lainage commun au XVème siècle.
- Le Bural ( de Birrus-Burellus, qui ont fait burel, bure) sorte de ratine ou lainage croisé.
- Le Bureau ou le cadis, gros draps de laine teinte en couleurs foncées.
LA TOILE DE CHANVRE :
La culture de chanvre était extrêmement florissante au XVIIIème siècle, et s'étendait dans presque tout le Bas-Dauphiné, et principalement dans la vallée du Grésivaudan et dans les plaines du Rhône et du Viennois, si bien que tous les hivers, plus de deux mille hommes avaient l'habitude de sortir des cantons du Briançonnais pour aller à la peigne du chanvre, en Dauphiné, dans différentes provinces française et même en Italie.
A Grenoble, la Corporation des peigneurs de chanvre était très importante. Il y avait une foule de petits producteurs qui cultivaient le chanvre :
- Ils le rouissaient (le rouissage avait pour but de détruire la matière gommeuse qui soude les unes aux autres les fibres textiles. il s'exécute en Immergeant les tiges dans de l'eau, ou en les exposant à l'action de la rosée nocturne, ou encore en les soumettant en vase clos à l'action de la chaleur humide).
- le teillaient ( ou tillaient c'était débarasser de la teille (écorce du chanvre) la tige du chanvre),
- le filaient (jusqu'au milieu du XIXème, les paysans et les artisans du Dauphiné filaient le chanvre fixé autour d'une quenouille, à l'aide du Rouet, machine à roue mue au moyen d'une pédale.)
- le peignaient (travail qui consiste à faire passer un peigne avec unmouvement de va et vient, sur la surface du textile),
et le passaient à des tisserands prossesseurs d'un ou de plusieurs métiers, qui en fabriquaient la toile qu'ils repassaient directement aux paysans, pour leur usage, ou revendaient aux marchands de la ville la plus proche.
LA TOILE DE COTON
Dans la seconde partie du XVIIIème siècle, les sieurs Ruelle et Gondard, fondèrent à Valence une manufacture de toiles de coton. Cette Manufacture obtint le nom de Manufacture royale et avait alors une très grosse importance : soit en tout 1070 ouvriers et ouvrières.
A l'établissement de cette fabrique, les propriétaires eurent besoin de main d'oeuvre pour le filage du coton. Cela leur fut assez facile, dans une contrée où les femmes avaint toute leur vie filé la laine, il était plus facile et dispencieux de faire filer le coton.
En effet, il y avait plus à gagner à filer du coton que de la laine, la plupart des paysans délaissèrent cette dernière, beaucoup de femmes et presque toutes les filles préférèrent le coton, parce qu'il ne laisse pas de crasse aux doigts, tandis que la laine, qu'on et obligé d'humecter d'huile pour la peigner et la carder, laisse non seulement de la crasse, mais une odeur.
Au XVIIIème siècle, les principales fabriques de toiles de coton en Dauphiné sont :
CREST - BRIANCON - MONTELIMAR - VIENNE - GRENOBLE
Les principaux tissus de cotons portés à l'éploque du moyen âge dans nos Alpes étaient :
- Le bombasin : espèce de cotonnade qui tirait son nom de bombace, coton.
- La fustaine, étoffe de fil et de coton , déjà très utilisée chez nous au XIIème siècle.
- la mollequin, ou mousseline de coton, destinée aux accessoires du costume et de la coiffure.
LES TOILES PEINTES
Nous arrivons enfin à la fabrication des toiles peintes, (celles employées dans l'ancien costume populaire dauphinois) 1780 à 1800.
mais ces toiles peintes se sont écoulées difficilement. A cela deux causes : le manque de numéraire occasionné par la disette des soies et la concurrence des manufactures étrangères.
.. Les établissements formés par des Suisses, à Mulhouse, en Alsace leur procurent les moyens de revêtir de l'empreinte nationale des toiles frauduleusement introduites.
Il apparaît que les frères Robert, à Bar le Durc, en Lorraine prêtent leur nom à toutes les manufactures de Suisse, soit de Genève, de Berne, de Bâle ou de Neufchâtel, et dont toutes les blanchisseries sont remplies de marchandises où la légende de Robert frère est imprimée.
Les Suisses, dans ces différentes villes, ont contrefait nos marques, et, au moyen d'un blancier qu'ils ont chez eux, leurs pièces circulent dans le royaume avec la marque nationale française.
"Le bas prix de la main d'oeuvre chez l'étranger empêchera nos fabriques de soutenir la concurrence".
En effet, pendant tout le XVIIIème siècle, venant concurrencer les fabriques françaises, des quantités de mouchoirs en toile peinte ou en indienne, des tabliers et des robes d'idienne (jupes et casaquins) envahirent le Dauphiné, venant de Sardaigne.
DENTELLES AUX FUSEAUX
Une industrie qui fut très florissante, en Dauphiné, pendant tout le XVIIIème siècle, et même pendant une partie du XIX, fut celle de la dentelle aux fuseaux, qui servait à orner les coiffes des femmes, leurs fichus ou mouchoirs, leurs guimpes et leur bavolets. La dentelle aux fuseaux, que l'ont croit d'origine flamande, et qui pourrait aussi bien être d'origine vénitienne, prit naissance à quelle époque ?... Nous l'ignorons. Seuls des textes sûrs en font mention au XIVème siècle. Elle s'exécute, comme beaucoup le savent déjà, sur un petit métier très simple, qui prend le nom de coussin, carreau ou tambour, suivant la forme.
En Dauphiné, la forme était celle du tambour, dans le Queyras et la Vallouise et du coussin avec un petit tambour central à La Grave.
Les tambours du Queyras étaient très curieux, extrêmement variés, et certainement de très beaux spécimens de l'art populaire en Dauphiné.
Faits ordinairement de bois de mélèze ou de sapin, de forme ronde avec parties plates sculptées dessus et dessous, ils étaient creux et munis d'une petite porte qui permettait d'y introduire et d'y conserver les fuseaux dont on devait se servir pour faire la dentelle. Le pourtour était recouvert de drap sous lequel on plaçait une couche d'herbe séchée ou de paille fine, afin d'y pouvoir piquer debout les épingles qui fixaient, pendant le travail, les points de croisement des fils et qui servaient en quelque sorte de jalons pour diriger ces fils, à l'aide de piqûres, sur une bande de parchemin fixée sur le drap. Les fils étaient fixés par un bout sur le tambour, à l'aide d'épingles, et l'autre bout était enroulé sur de petits fuseaux en bois que l'ouvrière paysanne croisait et recroisait suivant divers procédés assez simples en eux-mêmes, puisque des petites filles de huit à dix ans y réussissaient, mais qui, malgré tout, demandaient une grande dextérité de doigt.
C'est le XVIIIème siècle qui nous a laissé les plus beaux échantillons de tambours sculptés par les paysans, et dont quelques uns sont de véritables petits chefs-d'oeuvre.
Pour la plupart, ils portaient le nom ou les initiales de leur propriétaire, la date de leur fabrication et quelquefois une maxime.
Pour travailler à la dentelle, l'ouvrière du Queyras ou de la Vallouise posait son tambour sur un support à quatre pieds, sur lequel il pouvait pivoter.
Les femmes du Queyras, dès le milieu du XVIIIme siècle, ont fabriqué ces dentelles pour orner leurs coiffes, mais avec des fils assez gros, ce qui ne leur permettait pas d'exécuter des dessins compliqués, mais qui mettait ces réseaux plus plats que ceux de la dentelle à l'aiguille, moins chargés, mais plus souples en harmonie avec le tissu de la coiffe elle-même.
En Vallouise, en plus des fils de chanvre ou de lin, les montagnardes se sont souvent servi des crins de leurs mulets ou de leurs chevaux pour l'exécution de leurs dentelles. Ces fils sont en général plus beaux, plus fins et plus larges que ceux du Queyras et de la Grave.
A la Grave, qui fut, au xvIIIème siècle et dans la première moitié du XIXème, un centre dentelier, la dentelle aux fuseaux se fabriquait sur un coussin de forme rectangulaire, aux grands côtés légèrement incurvés, revêtu d'une feuille de parchemin au milieu duquel pivotait un très petit tembour en paille recouvert de drap.
Le coussin se posait sur les genoux pour travailler, quant aux fuseaux dont se servent encore les dentellières, c'étaient de petit bâtons de bois dur, quelques uns étaient sculptés, de 5 à 6 pouces de long, munis à l'une de leurs extrémités d'un rebord saillant destiné à maintenir le fil et à l'empêcher de s'échapper, et à l'autre, d'une partie renflée arrondie qui se tenait en main.
Tels sont les renseignements, que donne Monsieur DELAYE dans son livre, sur la fabrication et la variété des tissus et dentelles qui s'employaient autrefois en Dauphiné, dans le costume populaire.